Commercial, Représentant, Responsable de Zone, Ingénieur commercial, Chef de secteur, Chef de Marché, Directeur commercial…

Parmi les titres que l’on m’a attribués et ceux que j’ai porté, parfois avec une fierté naïve, souvent avec recul, puis conscient des responsabilités induites par les mots, aucun ne m’a paru aussi explicite que celui qui désignait mon grand père : « voyageur de commerce », en effet qu’ai-je fait d’autre que voyager pour mon commerce, ou de faire voyager le commerce, cette liaison entre les hommes, des marchandises des idées et des rêves.

Toute sa vie mon grand père fut représentant en farines dans les hautes Cévennes et la Lozère, parti le lundi matin, il rentrait le vendredi soir, reprendre sa place, incontestée, de chef de famille.

Si son métier, était moins prestigieux, à l’époque, que professeur magistrat médecin ou curé, il en était fier, à juste titre.

Son quotidien ne se résumait pas à la cueillette des champignons, et je l’entends encore me raconter ses débuts en plein hiver dans une voiture découverte, munie d’un unique phare à acétylène, couvert de fourrures pour se protéger du froid. Il suffit d’avoir traversé les solitudes de ces hauts plateaux pour deviner qu’il a vécu son quota de « galères » et sans doute eu peur de temps à autre.

Pourtant, il était fier de son métier, qui toujours lui permit de nourrir confortablement sa famille, sauf lorsque la guerre lui interdit de « voyager ». Il était fier de l’entreprise qui lui faisait confiance et de ses clients devenus des amis, sans que jamais ne plane l’ombre du favoritisme (on dirait aujourd’hui du conflit d’intérêts). Mais surtout en vendant ses farines, il était conscient de répondre au mieux à un besoin.

Lorsque par des chemins détournés, j’eus, par un de ces pieds de nez, dont la vie a le secret, embrassé à mon tour, une carrière commerciale, je découvris une toute autre réalité. Chacun se cachait derrière des intitulés plus pompeux les uns que les autres, j’en ai cité quelques-uns plus haut, les plus modestes se qualifiaient de « commercial ».

Pourtant, en français un adjectif, commercial par exemple, sert à préciser un nom. Le « généraliste » est un « médecin généraliste ». Quel nom, substantif, venait compléter l’adjectif « commercial » ? Je cherche encore.

D’autres, devant se définir, se réfugiaient derrière des vocables barbares : « interface commercialo-marketing », et j’en vins à me demander : de quoi ont-ils honte ? Devrais-je moi aussi avoir honte ?.

Au fil du temps, j’en suis venu à me demander de plus en plus souvent ce qui avait provoqué cette évolution de la fierté d’un office à la honte d’un mot, et à chercher quel péché inexpiable avaient commis, depuis peu, les hommes de commerce.

Il est vrai que l’inflation des mots ne s’est pas bornée à notre corporation. L’instituteur est devenu « professeur des écoles » et la femme de ménage « technicienne de surface », ce point a été souvent relevé et je laisserai au sociologue le soin de l’expliquer.

Peut-être que lorsque l’on doute du poids de son action, il est rassurant de la lester de mots.

Mais concernant l’activité de vendre ou de négocier le malaise est plus profond, car il se double d’un soupçon : le négociateur serait, par principe, un « boni-menteur », prêt à tout pour parvenir à ses fins. Dans notre société avide de cases et de classifications, le vendeur devient ce « traître », ce « mal nécessaire » (je l’ai entendu), cet individu peu recommandable, agréable compagnon mais peu fiable.

Combien de fois ai-je entendu, par boutade, « espèce de commercial » ?

On peut penser que j’affabule, mais pourtant dans un monde taraudé par l’angoisse du chômage, une foule d’emplois commerciaux cherche toujours preneur. Plus symptomatique encore, dans les Ecoles de Commerce, combien de diplômés choisissent la vente ? Bien peu, et rarement par vocation.

Pas de passéisme habillé de naïveté, il y a toujours eu des commerçants malhonnêtes, trichant sur les mesures, coupant le lait ou le vin ou trichant sur la monnaie rendue.

Mais il s’agissait de délits et ceux qui étaient pris étaient appelés voleurs ou escrocs.

Alors que s’est-il passé en un demi-siècle pour provoquer une telle évolution, et ne portons nous pas, collectivement une part de responsabilité ?